Sujet de Création
édition 2025
La dernière mise à jour de notre logiciel de montage, DaVinci Resolve Studio (version 19), sollicite bien trop les ressources de notre matériel. Nous espérons vous offrir très bientôt une nouvelle version, plus riche et avec un traitement de bien meilleure qualité.
Le Petit avion de papier
ACT. 1
Il était une fois…
C’était un jour nouveau, tout près de l’océan.
La lumière de ce matin-là traversait les hautes fenêtres de l’atelier d’une vieille imprimerie, et illuminait les étagères encombrées de bobines et de flacons, de papier et de vieux livres ; les murs aussi, tapissés d’affiches colorées et de gravures anciennes, vestiges des œuvres passées.
Transporté par une légère brise qui se faufilait à travers les interstices d’une fenêtre mal fermée, le parfum des embruns marins se mêlait à l’odeur de l’encre fraîche et du papier.
Sur une grande table de travail en bois brut, des feuilles de papier étaient méticuleusement empilées par type : vélin, vergé, bouffant, couché, offset, kraft et brouillon, puis soigneusement ordonnées selon une logique propre à l’imprimeur.
Quelques feuilles de papier déclassées restaient éparpillées.
Il régnait habituellement une atmosphère paisible dans cet atelier, bercée par le bruit des vagues et le chant des oiseaux marins.
Mais ce matin-là…
– Non mais a-t-on déjà vu ça ? Un avion de papier !
Des murmures se transformèrent en discussions animées, jusqu’à devenir une cacophonie d’exclamations indignées.
– Impensable ! Ça me met en boule pour la journée !
Au centre de cette agitation, une jolie feuille de papier blanc de la lignée du papier couché.
Inspirée par les petits oiseaux du jardin qu’elle voyait par la fenêtre, elle avait annoncé vouloir s’envoler au-delà des murs de l’imprimerie.
– Je rêve de voler parmi les oiseaux, de sentir le vent me porter, de voyager pour découvrir le monde ! déclara la petite feuille de papier couché, avec ses coins qui tremblaient légèrement sous l’émotion. – Je veux devenir un avion de papier !
Des exclamations, des protestations et des ricanements éclatèrent ici et là.
Tous les types de papiers réagirent immédiatement, chacun avec son caractère.
– Quelle idée ridicule !
– Que chacun respecte sa condition et que tous conservent nos traditions !
– Si elle a le goût des voyages, et bien qu’elle passe sa sélection en tourisme !
– Impossible, la pauvre a été mordue sur quatre centimètres par un massicot !
– Ah… C’est vrai. Dommage !
– Elle a un beau grammage, elle pourrait tout à fait porter les mots d’un poème !
– Excellente idée des papiers bouffant ! Et qu’elle arrête avec ses idées d’origami !
– Bon ça reste du papier couché…
– Qu’insinuez-vous Môssieu le papier vergé ?
– Ne vous froissez pas. Je fais juste remarquer qu’elle n’a pas la robustesse et la résistance d’une feuille de kraft.
– Ooooh ! Voilà un premier et joli compliment de votre part ! C’est exceptionnel !
– Oui alors on ne s’emballe pas non plus hein les papiers kraft !
– Et puis son grammage est trop fort voyons !
– Oh la la la la la laaaa ! Trop court, trop épais, trop comme-ci et pas assez comme-ça… Non mais ça va ! Nul besoin d’être un washi pour devenir un avion !
– Moi, je voudrais bien comprendre pourquoi cette annonce vous met tous dans un tel état ! C’est vrai quoi, elle n’était pas destinée aux écritures savantes, et visiblement, sa carrière dans le tourisme, la bande-dessinées ou les livres illustrés est bien compromise. Pourquoi ne pas accepter son choix ?
– Bon alors même si les papiers offset s’y mettent…
– Comme si l’on n’avait pas assez à supporter avec le papier calque taché de peinture qui passe son temps collé au carreau de la fenêtre parce qu’il se prend pour un vitrail !
Se tournant vers la petite feuille de papier couché :
– Tu es absolument folle à lier ! s’exclama le papier vélin avec mépris.
Ce à quoi les papiers vergé et bouffant agitèrent un coin supérieur en signe d’accord.
– Laisse ces rêves insensés aux brouillons !
Honteuses, les feuilles de papier brouillon se replièrent sur elles-mêmes espérant cacher leurs tâches et ratures.
La petite feuille de papier couché se sentit accablée sous le poids des remarques.
Les papiers offset, toujours prêts à soutenir les causes perdues, s’approchèrent d’elle et lui chuchotèrent d’une voix douce :
– Laisse-les dire. Nous avons tous des rêves, et le tien est aussi légitime que n’importe quel autre.
– Je voudrais tellement voir le monde, murmura-t-elle en fixant la fenêtre.
Au même moment, la vue d’un magnifique cerf-volant s’approchant de la fenêtre la souleva d’émotion !
Aussitôt, les feuilles de sa catégorie éparpillées sur la table s’empilèrent sur elle pour la retenir.
– Reste donc ici où est ta place !
Sous le poids de ses semblables, la petite feuille de papier couché regarda le cerf-volant danser, et les oiseaux voleter librement dans le ciel bleu.
– Un jour, je m’envolerai aussi. Peu importe les obstacles, je réaliserai mon rêve, pensa-t-elle.
Dehors, le vent marin se levait, annonçant peut-être l’opportunité qu’elle attendait tant et qu’elle était déterminée à saisir.
Brusquement, la brise se transforma en rafales de plus en plus puissantes contre le vitrage de l’imprimerie, et imposa le silence dans l’atelier.
Le cerf-volant aux couleurs arc-en-ciel qui s’animait joyeusement au milieu d’autres voiles multicolores ce jour-là, s’approcha une nouvelle fois du carreau, comme s’il avait perçu le désir de la petite feuille de papier couché.
La bourrasque suivante le projeta contre la fenêtre qui s’ouvrit en grand, dans un grincement de bois et de métal, pour laisser entrer un tourbillon de vent dans l’atelier.
Les feuilles de papier paniquées volèrent dans tous les sens avant d’être plaquées aux murs. D’autres, désorientées par la danse effrénée du vent, tournoyaient juste sous le haut plafond.
Au centre du chaos, partagée entre la peur et l’excitation, la petite feuille de papier couché claquait dans l’air mais restait bloquée par l’un de ses coins pris sous le pot à crayons.
Le cerf-volant s’amusait de la situation et des éléments.
– Viens ! Rejoins-moi ! lança-t-il dans un éclat de voix, porteuse de promesses et d’aventures.
Conscientes du danger, les feuillent d’offset lui crièrent :
– Attends ! Ne pars pas comme ça ! Replie-toi d’abord !
La petite feuille de papier couché tremblait de toutes ses fibres.
– Forme ton nez, ton fuselage, et ensuite tes ailes !
Avec maladresse, elle amorça ses premiers plis sous les vifs encouragements des feuilles de kraft et de brouillon exaltées par son audace et son courage, tandis que les autres papiers protestaient bruyamment.
– C’est insensé ! Tu vas te déchirer !
Mais la petite feuille de papier couché savait que sa seule chance se jouait maintenant.
Au fur et mesure que ses plis prenaient forme, elle sentit une force nouvelle grandir en elle, et elle gagna en confiance.
Elle réussit à se transformer dans un dernier effort, et testa ses ailes au moment-même où une rafale renversa le pot à crayons.
Aussitôt libérée, la petite feuille de papier couché s’élança dans un tourbillon et rejoignit le cerf-volant dans une ascension triomphante.
À cet instant précis, le petit avion de papier fût né, incarnant la liberté d’être et de vivre ses rêves.
ACT. 2
– Hourra ! Je vole ! C’est trop bien !
– Bravo et bienvenue à toi ! lança son nouvel ami
Le petit avion de papier sentait avec bonheur le vent se glisser sous ses ailes.
– En vrai, j’ai toujours su que j’étais un « avion de papier » ! Et toi ? demanda-t-il au cerf-volant.
– Tu vas rire : moi, j’étais un parapluie ! Mais ça me rendait fou quand on me refermait et me ligotait dès que je me retournais à chaque coup de vent ! Alors quand l’occasion s’est présentée, je me suis en-vo-lé ! J’ai accroché une cordelette au passage, qui s’est prise dans la girouette de ce bâtiment et depuis… je voooooooole !
En riant aux éclats, le petit avion de papier manqua la vague de vent suivante, décrocha et partit en vrille.
La chute fut rapide et tout devint flou autour de lui.
Il s’échoua sur les plus hautes branches d’un arbre, désorienté et sévèrement corné.
Son cœur de papier battit très fort.
– Oh non ! J’ai une aile toute tordue !
Le cerf-volant qui planait au-dessus l’encouragea :
– Reste calme ! Redresse-toi et tire sur ton aile !
Le petit avion de papier étira ses plis et repartit à l’assaut du ciel. A peine avait-il rejoint son ami que son aile endommagée le trahit. Une nouvelle fois déséquilibré, il chuta sur un toit.
Il resta un moment sans bouger à contempler le vaste ciel azuré et parsemé de quelques nuages cotonneux.
– T’es mort mon copain ? demanda le cerf-volant inquiet.
– Non non ! Je réfléchis !
Le petit avion de papier cherchait à comprendre, à se comprendre, bien décidé à tirer toutes les leçons de cette expérience.
Il se redressa et examina les dégâts. Il défroissa son fuselage, ajusta ses ailes et raffermit son nez. Tout en apprivoisant ses mouvements sous le vent, il se souvint d’une phrase du philosophe Emerson : « Tout mal auquel nous ne succombons pas est un bienfaiteur pour nous. »
Il était prêt. Quand un nouveau souffle le frôla, il inspira profondément et reprit son envol avec la certitude de pouvoir maîtriser son destin et relever tous les défis.
Et Paf! Un oiseau distrait le percute !
– Oh ben là, tu vas voler beaucoup moins bien, forcément ! murmura le cerf-volant en regardant son ami chuter.
Un peu assommé, le petit avion de papier sentit le vent le déposer en douceur sur un banc public.
Mais lorsque soudain, une main le plaqua puis le leva, il eut la sensation que le monde s’arrêtait.
Une autre main rejoignit la première et il passa de l’une à l’autre comme s’il était examiné de tous les côtés.
Terrifié, il implora en silence.
Le cerf-volant le rassura du haut du ciel :
– Aies confiance, elles vont t’aider !
Délicatement, les mains commencèrent à le déplier.
– T’es sûr de toi là ? cria le petit avion de papier à son ami.
Puis l’une d’elles sortit un stylo et fit courir la mine sur celui qui avait repris l’apparence d’une petite feuille de papier couché.
Toujours un peu inquiet, il ne put s’empêcher de rire :
– Ah ah ah ! Ça chatouille !
Les mains expertes le reformèrent avec précision dans une nouvelle structure, renforçant son nez et élargissant ses ailes. La plus habile reprit le stylo et dessina un petit oiseau sur son fuselage.
Puis la même main le souleva et le petit avion de papier eut juste le temps d’apercevoir le sourire et le regard d’enfant d’un visage usé par le temps, avant d’être propulsé dans les airs où il retrouva son ami le cerf-volant.
– Que tu es beau dis-donc !
Tout fier de sa métamorphose, le petit avion de papier se sentait très élégant et surtout bien plus solide. Il embrassa le vent avec une assurance nouvelle, prêt à conquérir le ciel.
Au crépuscule de cette folle journée, le petit avion de papier flottait doucement aux côtés de son ami le cerf-volant, tous deux bercés par la dernière brise du jour, dans un ciel dont les teintes rouge-pourpre semblaient s’étendre à l’infini.
Et puis… un murmure flotta dans l’air.
– Oh regarde ! Là-bas !
Le fuselage du petit avion de papier se gonfla de joie lorsqu’il distingua au loin une escadrille d’oiseaux migrateurs au vol parfaitement synchronisé.
– Ballet aérien en approche ! Je ne m’en lasse pas ! répondit le cerf-volant qui s’amusait du bonheur enfantin de son ami.
Plus les voyageurs s’approchaient et plus le petit avion de papier se sentait soulevé par l’excitation. Qui, mieux que ces oiseaux, pouvait incarner la promesse d’aventures et de découvertes ?
L’appel devenait irrésistible.
Mais… le poids de la culpabilité pesa brusquement sur ses ailes : comment pouvait-il abandonner son ami qui l’avait tant soutenu ?
Le cerf-volant devina les pensées qui torturaient son jeune ami.
Alors avec la plus grande douceur, il lui glissa ces quelques mots :
– Un jour, quelqu’un a dit que l’amitié, la vraie, c’est respecter et aimer l’autre dans son entièreté. C’est le laisser libre dans ses choix, libre de suivre sa voie, sans jamais le retenir par peur de le perdre. C’est garder le cœur ouvert et les mains tendues pour l’accueillir à chaque retour. Va, nous resterons connectés par des liens invisibles mais solides. Vis tes rêves, je t’attendrai.
Ces jolis mots portés par le vent apaisèrent le petit avion de papier qui regarda le cerf-volant, ondulant dans les airs, avec ses fils délicats s’étirant dans le feu du ciel ; il le trouva plus majestueux encore qu’à leur rencontre.
– La plus belle cage pour un oiseau est celle qui n’existe pas, ajouta le cerf-volant.
– Wouhââ… Poète et philosophe en plus… murmura le petit avion de papier.
Clin d’oeil complice en réponse, puis le cerf-volant fit signe aux oiseaux migrateurs et ajouta :
– Tu me promets de tout me raconter à ton retour, dis ?
– Oh oui ! Tout ! C’est promis ! Merci pour tout… ton amitié est un vrai cadeau, répondit le petit avion de papier rassuré.
– Allez file ! répondit le cerf-volant un brin ému, et il le poussa doucement vers ses nouveaux amis du voyage qui l’accueillirent chaleureusement par leurs chants et qui l’entourèrent en signe de protection.
Le petit avion de papier se retourna une dernière fois, avec la promesse de retrouver son ami le moment venu.
Le cerf-volant lui offrit son plus beau looping en retour avant de regarder son jeune complice s’éloigner vers l’horizon, fier de lui.
ACT. 3
Deux saisons s’étaient écoulées depuis le départ du petit avion de papier.
Deux saisons pendant lesquelles il avait exploré le monde, et s’était fait le messager entre tous les Enfants de la Terre, petits et grands.
Il avait tant appris de toutes ses rencontres dont chacune avait laissé sur lui son empreinte par des dessins et des mots de toutes les langues, avant de lui redonner son élan dans les airs.
Sur le chemin du retour, il survolait l’océan lorsque les côtes familières se profilèrent enfin à l’horizon.
Mais le ciel se transforma brusquement en un tumulte obscur et menaçant, zébré par de violents éclairs. Des vents hurlants s’élevèrent, et il esquiva les rafales qui cherchaient à le déporter. Les vagues en furie s’étiraient vers lui comme pour l’attraper ; les plus déchaînées tentaient de frapper le ciel.
Au cœur de la tempête, il se souvint des conseils du grand cerf-volant : « La force réside dans la flexibilité ». Il adapta alors ses ailes pour mieux résister aux assauts du vent et gagner en vitesse.
Il lutta contre les éléments déchainés et parvint à rejoindre les côtes.
Tout à coup, un éclair frôla la pointe de son gouvernail et l’enflamma.
La douleur le traversa mais de toutes ses forces, il garda le cap sur un abri en vue.
La pluie qui commençait à tomber éteignit doucement le feu à son gouvernail.
D’abord fines et éparses, les gouttes se multiplièrent et chacune se transforma en frappe lourde cherchant à l’écraser au sol.
Chaque bourrasque l’épuisait davantage.
Il se battait, animé par la promesse de revenir près de son ami, et il y était presque !
Pourtant, ses mouvements devinrent lourds, la faiblesse l’envahit avant de le paralyser. Son radar se brouilla et il vola jusqu’au bout de ses forces, en aveugle, porté par le souvenir de ses rêves réalisés.
Son cœur de papier battait avec l’énergie de ceux qui savent que leur temps est compté.
Ses ailes commençaient à se ramollir, son fuselage à se déformer.
Il avait vécu pleinement et il en était heureux.
Son seul et immense regret était de ne pas pouvoir tenir sa promesse envers le cerf-volant, son ami.
Soudain, un cri perça le vacarme de la tempête, suivi aussitôt d’un puissant claquement d’ailes qui résonna dans l’air saturé d’eau. Et là, une silhouette émergea des nuages sombres…
Ami ou ennemi ?
Venait-on à son secours ?
Et si oui, qui était-ce ?
Histoire originale écrite par Sophy Gordien.
Vignette de couverture générée par IA, prompt de Sophy Gordien.